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Uberach : au-delà de l’eau, le whisky

3 gammes cohabitent dans les whiskies de la distillerie Bertrand

Dans ce village du Bas-Rhin, la distillerie Bertrand élabore depuis bientôt vingt ans un single malt aussi inclassable que son créateur. En sachant se renouveler avec talent, notamment avec les embouteillages griffés St Wendelin. Allez, en route pour une virée en Alsace !

Il a dévalé la Grand-Rue le vent dans le dos avant d’obliquer en souplesse vers le parking, les rotules assurées et, ma foi, je n’avais encore jamais vu un maître de chai débouler en skate-board de son chai.

« Une planche australienne motorisée, un bijou, on peut faire des kilomètres avec », se félicite-t-il.Notez bien : je n’avais jamais vu non plus un chai équipé de platines et d’enceintes crachant Frank Zappa et Neil Young en alternance avec Led Zep’ et Sweet Smoke. « Certains fûts ont leur bande-son, leur inspiration ». Les pochettes de 33 t seventies qui s’accrochent ici et là sur les têtes des barriques en témoignent, semées façon jeu de piste dans l’ombre entre les racks. Voilà. Jean Metzger est une figure à part dans l’univers du whisky français, un drôle de zèbre qui ne se laisse pas domestiquer dans les cases prédessinées où, par facilité, on a tendance à classer les gens. Maître nageur à ses heures, grand amateur de vins, dégustateur hors pair, dingue de glisse, de musique et de single malts. Autant de passions qu’il parvient à concilier – c’est là le véritable exploit – dans le village d’Uberach, en Alsace.

Jean Metzger
Jean Metzger

Au début des années 2000, il convainc la distillerie Bertrand, maison réputée depuis 150 ans pour ses eaux-de-vie de fruits, de se risquer dans le malt. Lui-même s’attellera à l’élevage et à l’assemblage. Le premier whisky, coulé en 2003, sort ainsi 3 ans plus tard, début d’une aventure qu’il faut en partie deviner. Car Metzger n’est guère loquace. À chaque question il répond en versant un peu de ses whiskies dans votre verre, en prenant soin de cacher l’étiquette, manière de dire : écoute les liquides, ce sont eux qui racontent l’histoire.

Que d’eau, que d’eau !

L’histoire. Elle prend sa source à Uberach, qui signifie « au-delà du ruisseau, de l’eau » (dérivé de l’allemand über bach). Un bourg rattaché depuis 2016 à la commune de Val-de-Moder. De l’eau, ici, il en est souvent question. Douce, très peu minérale, elle s’évade des monts granitiques des Vosges du nord jusque dans ces terres de vergers. Et cela tombe bien, le whisky en a besoin à chaque étape de sa fabrication : brassage, fermentation, refroidissement des condenseurs lors de la distillation, et enfin réduction. Mais les deux premières étapes sont en l’occurrence sous-traitées, comme souvent dans les distilleries alsaciennes reconverties au whisky : c’est donc la bière fournie par la brasserie Uberach voisine et Meteor qui a longtemps alimenté les 3 alambics Holstein, des hybrides très souvent utilisés dans la fabrication des eaux-de-vie de fruits. Mais depuis janvier dernier, le brassin est fourni par Wolfberger, importante coopérative viticole alsacienne qui produit également des eaux-de-vie et liqueurs, et possède la distillerie Bertrand.

Laurent Osswald
Laurent Osswald

Ici, les alambics se consacrent au whisky toute l’année, et pas seulement entre les saisons des fruits. « Aujourd’hui, la distillation des eaux-de-vie de fruits ne représente plus que 20% de l’activité », relève le distillateur Laurent Osswald. La production reste néanmoins modeste, et très artisanale : 100 000 litres de bière avalés chaque année par la triplette de cuivre, dont il ne restera que 6% à la sortie des Holstein. C’est ce précieux distillat que Jean Metzger guette. C’est avec cette matière qu’il unit dans son chai l’amour du whisky à celui du vin, puisqu’il sélectionne pour ses vieillissements des fûts de chêne neufs et de domaines viticoles, ces derniers vidés et expédiés en Alsace le jour même via une filière frappée au sceau des amitiés.

3 gammes cohabitent dans les whiskies de la distillerie : le single malt Uberach, élevé 5 ans sous chêne vierge et en fûts banyuls ; la collection des Cask Couleurs jaune (mûris en fûts de vins du Jura), bleu (vins du Rhône) et vert (bourgogne) ; et la nouvelle marque St Wendelin, sortie en 2020 au plus fort de l’épidémie de covid, quand notre attention se laissait distraire.

3 distilleries pour un village

Prince écossais du haut Moyen Âge, saint Wendelin renonça à son royal destin pour guider les troupeaux avant d’endosser le froc de moine, et possédait, dit-on, le don de faire jaillir des sources d’eau douce de sa houlette de berger. Uberach lui voue un étonnant culte, pour un village qui s’est plutôt taillé la réputation de faire jaillir le whisky : 2 distilleries, bientôt une 3e, pour à peine plus d’un millier d’habitants ! Le bourg consacre à son saint patron rien moins qu’une église, une rue, une fontaine, une statue… et désormais un whisky.

St Wendelin Le Principal, embouteillé le 21 octobre – jour où l’on fête le berger cureton aquaphile –, se double d’une édition Le Souffle de 10 ans. Après le batch « Calcaire » 2020, élevé en barriques de crus alsaciens, la mise « Marno-Calcaire » 2022 affinée en tonneaux de bourgogne (pinot) sort en cette rentrée à quelque 400 exemplaires.

Un single malt minéral, taillé à l’os, caressé d’un très joli rancio de fruit. Et vous pouvez parier que fin octobre, pour les prochaines cuvées et comme à son habitude, Jean Metzger ira déposer en offrande près de la fontaine Saint-Wendelin une topette de whisky. Parce qu’au terme d’une vie terrestre dévouée à H20, le prince qui lâcha la couronne pour les moutons mérite bien dans l’au-delà qu’on lui souhaite édénique de se rincer la glotte à l’eau… de vie.

St Wendelin Le Souffle Calcaire 10 ans (50 cl, 46,2%).
Prix : environ 55 €. Autodistribution.

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