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Worthy Park : Berceau du Rhum Jamaïcain

La distillerie de LLuidas Vale, ressuscitée en 2005 après 40 années de silence, est la seule sur l’île matrice du rhum à proposer des embouteillages issus de la mélasse de sa propre sucrerie, de ses champs, de la canne au verre. En cette rentrée, un superbe 12 ans vient enrichir sa gamme permanente.

Des champs de canne à sucre à perte de vue, océans verdoyants ondulant et caressés par le vent sous un ciel que l’orage vient de lessiver… C’est ici, bien loin des plages de carte postale du nord de l’île, dans les replis de la profonde vallée de LLuidas, que se blottit Worthy Park. On a trouvé en ces lieux les plus anciennes traces connues de distillation de rhum en Jamaïque, comme en atteste un reçu de vente de 3 000 gallons daté de 1741.

Mais c’est d’abord avec le sucre que s’écrit la grande histoire de Worthy Park, l’une des 2 dernières usines sucrières de « Jam Rock », comme ses habitants surnomment leur pays. La production commerciale de l’or blanc y démarre en 1720 et ne s’est jamais interrompue depuis. La lumière décline, et les abattis métalliques de la sucrerie se détachent en théâtre d’ombres sur la toile tendue par les graminées. Quelque 40 000 hectares de terre, 160 consacrés à la culture de la canne, des sols riches et fertiles – mais en Jamaïque, quand on plante un poteau il prend racine et fait des fleurs un mois plus tard. Au-delà des zones de déchargement, la distillerie, intimement liée au destin du sucre jusqu’en 1962. À cette date, les alambics cessent de fumer, la grave crise de surproduction post-Seconde Guerre mondiale ayant raison du rhum. Les larmes coulent dans la vallée.


UNE DISTILLERIE MODERNE, QUI TRAVAILLE À L’ANCIENNE

Alors, quand en 2005 le rhum renaît à Worthy Park après plus de 40 ans de silence, c’est pour durer, pour y rester. Gordon Clarke, à la tête d’un domaine qui n’a connu que 4 familles propriétaires depuis 1670 – son grand-père l’acquiert en 1918 –, fait construire une nouvelle distillerie intégrant un équipement dernier cri, des méthodes efficientes et un laboratoire sur site.

Une distillerie moderne, calibrée cependant pour travailler à l’ancienne, qui n’avalera que les mélasses régurgitées par sa sucrerie et distillera intégralement en alambics pot still.

« C’est la seule distillerie jamaïcaine qui fonctionne en “single estate”, souligne le directeur Alexander Kong. La mélasse est tirée en totalité des cannes du domaine, raffinées sur place. » Le résidu visqueux de la cristallisation du sucre emprunte un pipeline long de 1 km pour arriver à la distillerie, où une cuve monstre en conserve 55 tonnes à l’extérieur.

La distillerie produit 7 « marks » – autrement dit 7 typologies – de rhums légers, médiums et lourds, suivant des procédés de fabrication qui varient en fonction du style. « Nous utilisons 3 variétés de levures : pour les rhums légers, une levure de boulanger sèche ; pour les “high esters” (c’est-à-dire les rhums les plus lourds, très riches en composés aromatiques), une souche propriétaire et une levure préfermentaire », complète Kong.

La préfermentation, chez Worthy Park, s’effectue à l’extérieur, dans 4 grandes cuves de bois ouvertes alignées contre la distillerie. On y laisse reposer durant des semaines une tambouille de jus de canne frais, de mélasse et d’eau dans laquelle macèrent des tronçons de canne à sucre qui provoquent une grosse activité bactérienne, à l’origine du surcroît d’arômes.
En hauteur, sur une estrade, trône un unique pot still écossais à double retort. Emblème des distilleries jamaïcaines, ces alambics comportent 2 pots intermédiaires montés en série, qui agissent en créant une distillation supplémentaire dans chaque marmite : le rhum est ainsi coulé à très haut degré en une unique passe. Lambrissé comme le salon de mamie, celui de Worthy Park semble léviter dans la salle. « On l’a coffré de bois pour conserver la chaleur. Et puis c’est plus esthétique », plaide le directeur dans un rire.

ALERTE COLLECTOR !

Le coup de génie de Worthy Park ? Le Rum-Bar Overproof, lancé en 2007. Un blanc nucléaire à 63%, comme on les affectionne sur l’île. « Le seul rhum blanc overproof jamaïcain distillé 100% en pot still et non en colonne », insiste Zan Kong.

En cette rentrée, le Rum-Bar Overproof et son acolyte le Silver (à 40%) ont finalement abandonné leur nom d’origine pour battre pavillon Worthy Park sous une nouvelle étiquette – alerte collector si vous dénichez l’ancienne bouteille qui traînera encore un peu en rayon jusqu’à épuisement des stocks.
En 2018, enfin, la distillerie présente le premier rhum vieux embouteillé sous son nom : le Worthy Park Single Estate Reserve, mûri 6 à 10 ans, tropical en diable sur des notes de brioche toastée. Un événement historique, une renaissance. Les éditions Cask Series se succèdent ensuite, avec leurs affinages originaux – en barriques de calvados ou de cognac. Et le premier compte d’âge 12 ans, élevé en anciens fûts de bourbon, vient enfin de rejoindre la gamme permanente, au moment où le rhum jamaïcain suscite l’engouement parmi les amateurs avec ses expressions non édulcorées et dénuées d’additifs, ses jus purs, puissants, exigeants.

Dans la vallée de LLuidas, on le sait bien : l’aventure ne fait que commencer, après 3 siècles à s’échauffer.

Worthy Park 12 ans (70 cl, 50%).
Prix : 84 €.
Distribution : Whiskies du monde.

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