Pousser le portail du seul château cognaçais de Grande Champagne, c’est se frotter au sablier des siècles, remonter aux racines de l’eau-de-vie charentaise. Et goûter à l’excellence d’une des plus anciennes maisons de spiritueux produits en « single estate ».
Les vignes s’enfuient en pente douce à perte de vue, enserrant dans leur écrin de verdure le château de Fontpinot et sa triade de tourelles coiffées d’ardoises. Henri Frapin les fait ajouter en 1872 pour enchâsser la bâtisse familiale et, à ce jour, le cognac Frapin reste le seul et unique château de Grande Champagne.
Mais l’histoire a commencé à s’écrire bien avant dans cette vieille famille implantée à Ségonzac, en Charente. Dès le XIIIe siècle. À s’écrire, oui, de cette plume qui sert d’emblème à la maison pour rendre hommage à l’un de ses illustres ancêtres : l’écrivain François Rabelais, dont les romans satiriques agitèrent la Renaissance. À cette même époque, la famille commence à travailler la vigne avant de se lancer, à la fin du XVIIIe, dans la distillation du cognac pour le compte de tiers.
Un siècle plus tard, Pierre Frapin prend la meilleure décision de sa vie : il crée sa propre marque.
Comment résumer plus de 750 années de transmission familiale ininterrompue – Jean-Pierre Cointreau, le président actuel, incarne la 21e génération de Frapin –, plus de 7 siècles et demi d’embardées de l’Histoire, celle qu’on habille d’une majuscule faute d’en apercevoir les racines ? Impossible, n’essayons pas. Mais le musée installé au siège de Ségonzac en retrace les grands traits et les visites du domaine offrent aux curieux comme aux passionnés une immersion dans la vérité du cognac, bien loin de certains Disneyland des spiritueux.
UN CHAI EIFFEL
L’Histoire colle aux cognacs Frapin plus sûrement encore que les toiles d’araignée aux fûts planqués dans l’ombre des paradis. Le blason familial fut octroyé en 1697 par le roi Louis IV à son apothicaire, Pierre Frapin – à cette époque, il n’y a jamais loin de la pharmacie à l’alambic.
Lors de l’Exposition universelle de Paris en 1889, un autre Pierre Frapin dans la descendance sympathise avec Gustave Eiffel, venu présenter une tour en ferraille passée à la postérité, et il convainc l’ingénieur de lui construire un chai. Un chai splendide, dépourvu de piliers, offrant 800 m2 d’espace sans obstacle (il sert aujourd’hui à l’assemblage), et dont seules les arches métalliques soutiennent la toiture.
Mais c’est dans le vignoble que tout commence. Avec ses 236 ha de parcelles qui semblent s’emboîter dans un infini vallonné, c’est le plus grand domaine cognaçais d’un seul tenant en Grande Champagne. Planté presque uniquement en ugni blanc, le cépage dominant du cognac – un peu de follignan fut introduit au début des années 2010, mais patience…
Patience. Le mot pourrait tenir lieu de devise à Ségonzac. « On prend le temps à chaque étape parce que c’est meilleur, tranche Patrice Piveteau, l’emblématique maître de chai de Frapin. On récolte le raisin à plus grande maturité avec les risques de conservation inhérents, quitte à galoper dans tous les sens la première semaine de vendanges pour sélectionner les parcelles parfaitement mûres. On distille sur lies des vins ni débourbés ni décantés et c’est une opération très compliquée mais qui, bien conduite, apporte davantage de composés propices aux longues maturations. Et bien sûr, on vieillit plus longuement. Ce n’est pas une fantaisie, ni un truc de com’ : c’est meilleur, tout simplement. »
Passé au sablier du temps, le VSOP mûrit environ 8 ans (le double de la durée minimum légale), et le plus jeune XO de la gamme affiche un compte d’âge de 15 ans (au lieu de 10 ans requis par l’AOC), quand le XO VIP dans sa carafe en encrier assemble des eaux-de-vie de 30 ans environ.
EAUX-DE-VIE PRÉ-PHYLLOXÉRA
Pour autant, corrige aussitôt Patrice Piveteau, la façon dont on élève les cognacs importe encore davantage que la durée de maturation.
« Je crée la variabilité dans les profils au moment du vieillissement, explique-t-il. En alternant entre fûts neufs et fûts vieux, entre chai sec et chai humide, en jouant sur le degré d’entonnage… Les chais, à mes yeux, font partie du terroir au même titre que la vigne. » Une dizaine de chais humides et autant de chais secs (le plus souvent logés au grenier des premiers, sous les toits) jalonnent le domaine, répartis sur 4 sites. Un milieu moite apporte rondeur et souplesse aux eaux-de-vie. Alors qu’au grenier, les cognacs gagnent en concentration, en caractère, en longueur.
Petite particularité : chez Frapin, tous les XO (à l’exception du 15-ans qui assemble les deux) passent leur vie entière dans un seul et même type de chai : ainsi, le Cigare Blend (environ 20 ans) ou le nouveau millésime 1990 (30 ans) se développent dans la moiteur, alors que le Château Fontpinot, cuvée emblématique qui a récemment fêté son 100e anniversaire, ou la cuvée Extra (environ 40 ans, divine sur les desserts au chocolat ou aux noisettes !) se forgent en milieu sec.
Et puis, une fois passée la dernière marche du 7e ciel, il y a les paradis. Au pluriel. Ces caves où sont stockées les plus précieuses eaux-de-vie, certaines distillées avant le phylloxéra, au XIXe siècle. Trésors logés en contenants inertes, des dames-jeannes de verre, à l’abri du bois, de l’oxydation… et de l’évaporation. Des paradis dont on aurait chassé les anges pour mieux tutoyer les cieux.
Frapin millésime 1990
70 cl, 41% – Prix : 207 €
Distribution : Iconic Nectars.
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