Derrière les calvados Roger Groult, une distillerie comme on n’en fait plus
Un week-end en Normandie ? Dans le sud du Pays d’Auge, une petite maison confidentielle élabore comme autrefois une minuscule production d’eaux-de-vie tirées de la pomme. En travaillant ses propres vergers, en distillant à feu nu, en chauffant ses alambics au feu de bois. Allons voir de plus près.
Il pleut comme vache qui pisse sur le Pays d’Auge, le bocage prend l’eau depuis des jours : bons baisers des tempêtes amorties par le littoral en cet automne maussade. Et l’on n’a pas encore rentré les « Noël des champs », ces pommes tardives qui se ramassent entre le mitan et la fin de novembre. Mais peu importe : la récolte est bonne cette année, peut-être 500 à 600 tonnes de fruits (contre 400 l’an dernier), et l’eau qui tombe aujourd’hui fera bien assez tôt le calvados de demain. On l’oublie parfois en choisissant une belle bouteille chez le caviste : l’élaboration des spiritueux reste une activité profondément agricole, où l’on compose avec l’incertitude et les aléas. A fortiori dans les petites maisons artisanales, à l’image des calvados Roger Groult.
Dans les caves, un trésor liquide
Estelle Groult, 4e génération d’une famille qui s’est dévouée à l’eau-de-vie née de la pomme, déroule l’arbre généalogique en traversant les caves dont chacune porte le nom d’un ancêtre. Ces chais ont d’ailleurs un visage puisque leur portrait en noir et blanc veille sur les foudres et les fûts.
Il y a d’abord Pierre, l’arrière-grand-père, qui fonde au XIXe siècle la maison Groult. Puis Léon, rentré blessé de la Grande Guerre et qui décédera peu après son retour des tranchées – son masque à gaz prend la poussière sur une barrique. Il y a surtout Roger, qui laissa son prénom en héritage sur les étiquettes. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qu’on espérait la dernière et alors que les chars du Débarquement se décoinçaient du bocage, c’est Roger qui recentre l’exploitation agricole sur l’activité cidricole et le calvados. Gloire à Roger, auquel succédera Jean-Pierre – qui prête son prénom composé à 2 caves – puis Jean-Roger, le frère d’Estelle, qui lui refile le bébé et l’eau de pluie (à défaut du bain) en 2022.
Quand les propriétaires d’une distillerie prennent le temps de raconter les hommes, l’humain, l’histoire avant même de parler de leurs produits, assurant le continuum entre le passé et le temps présent, vous savez que la dégustation vous réchauffera l’âme avant même de vous réjouir les papilles.
À l’entrée du domaine, une bâtisse basse à colombages abrite les bureaux et l’espace de dégustation autour d’une table commune qui se partage avec la petite boutique pour accueillir les visiteurs. La nouvelle gamme de 4 single casks bruts de fûts (sans dilution) – 7, 18, 21 et 25 ans – se frotte aux classiques de la maison : le Vénérable (assemblage de plus de 18 ans) ; l’Âge d’or (plus de 25 ans) ; le Doyen ; et la Réserve ancestrale (plus de 30 ans). Des trésors intemporels qui traversent les modes et défient le temps.
Mais sans en revenir à Adam et Ève, reprenons par le début : la pomme. Celle du péché capiteux. Déchargées par centaines de kilos sur la vaste dalle coulée entre les chais et la distillerie, les pommes roulent en pagaille vers les petits canaux en pente, poussées par l’eau qui les rince et les achemine au pressoir.
« Le domaine possède 30 ha de pommiers, principalement des hautes tiges, détaille Estelle Groult. Les arbres ne sont pas traités et ils donnent des pommes amères, douces-amères et acidulées – une trentaine de variétés pour ajouter à la complexité gustative. Nous achetons également 150 à 200 tonnes à d’autres petits producteurs : pour préserver les vergers du Pays d’Auge, il est essentiel qu’ils conservent leur activité. »
Scoop : bientôt un cidre Groult !
Au pressoir, les pommes, une fois broyées, macèrent quelques heures avant la presse continue qui en extrait le jus. Le marc (les déchets de fruits), donné aux fermiers alentour, nourrira les vaches, ces doux ruminants qui entretiennent à l’année les vergers en boulottant les fruits véreux ou pourris qu’elles ramassent au sol ou dégomment de l’arbre en chargeant dans les troncs à grands coups de cul.
Grâce soit rendue à nos ancêtres, qui ont compris qu’avec des pommes on pouvait faire mieux que des tartes et des compotes !
Du cidre, pour commencer. Le jus fermente sans ajout de levure, en spontané, dans de grandes cuves fermées remplies à ras où on le laisse gargouiller pendant environ un an. Et à ce propos, alerte scoop, vous l’aurez d’abord lu dans Caveman : la maison Groult présentera en début d’année 2024 ses premiers cidres. Mais le cidre à distiller suit un autre chemin.
Il est pompé vers la distillerie, où les 3 alambics chauffés à flamme nue, au feu de bois comme autrefois, avalent en septembre le vieux cidre de l’année précédente, riche en texture et en acides gras qui flatteront les longs vieillissements.
« On distille uniquement la première passe, indique Jean-Marie Lust, le maître de chai, entré chez Groult à l’âge de 16 ans il y a 4 décennies. Ce qu’on appelle la petite eau. Pour libérer la place dans les cuves, avant d’attaquer la récolte des pommes. »
En décembre et janvier, retour auprès des alambics pour redistiller la petite eau qui devient cette fois eau-de-vie, calvados.
Cet artisanat se retrouve dans les chais, où les eaux-de-vie sont sculptées, polies, sablées par le temps au contact du chêne, en fûts ou en foudres. Pour élaborer les plus vieilles qualités de calvados, les foudres ne sont jamais totalement vidés et conservent en permanence environ un tiers de leur volume.
« Dans certaines cuves, cette “souche” peut remonter à une centaine d’années, révèle Estelle Groult. On assure ainsi la qualité et la consistance des vieilles cuvées comme le Doyen ou la Réserve ancestrale. »
Des calvados au merveilleux fondu, à la finesse incomparable, qui égrènent dans nos verres le sablier du temps lent à une époque trop pressée.
Roger Groult Single Casks 7 ans, 18 ans, 21 ans et 25 ans (70 cl, de 40,9 à 55,8%).
Prix : de 70 à 125 €.
Distribution : en direct sur Normandie, Paris, Île-de-France ; et pour les autres régions, Maison Leda.
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