Depuis une bonne vingtaine d’années, l’Habitation Saint-Étienne ne cesse de surprendre les amateurs en imprimant dans le rhum une marque très personnelle, pleine d’audace et d’inattendu. Derrière ce succès : du travail, du talent. Et du rock.
«Je vais te dire : les gens qui font du rhum et qui n’aiment pas le rock sont des opportunistes.» D’un ton définitif, José Hayot vient de clore le débat en posant son verre de XO.
Et comment ne pas être d’accord en ce moment même où des volées d’oiseaux lâchent des trilles comme des riffs non loin de l’écho des chais ?
Dans les années 1980, le patron de HSE s’éloigne de la Martinique, qui l’a vu naître dans une famille de grands békés, pour prendre la tangente à New York où il se taille une carrière dans la production musicale. Mais la Terre est ronde et, à force de s’éloigner, vient un moment où l’on finit par se rapprocher. Il retrouve son île en y traînant sa compagne de l’époque, Marianne Faithfull, qui a besoin de tenir à distance les démons addictifs. «Elle est repartie, je suis resté.»
Et le rhum dans tout ça ? Dans l’escarcelle familiale, il y a la distillerie du Simon, au François. Mais c’est en rachetant HSE à la chandelle, en 1994, que José Hayot va se réconcilier avec son histoire.
Derrière la grandeur des hommes, il faut toujours chercher la femme. La femme, c’est Florette Hayot, historienne de l’art, qui tombe amoureuse de l’habitation abandonnée aux courants d’airs et aux pluies tropicales, à la rouille et aux herbes folles.
«Il y avait au moins 10 ans de travaux, se souvient-elle. On cherchait une maison, c’est devenu un projet de vie.»
Une baraque aux blessures émouvantes et à la beauté décadente… Oui mais voilà : elle est flanquée d’une usine en ruines, rendue à la nature, et dont la dernière distillation remontait à 1987-1988. La vie possède ce don de vous ramener en oblique dans vos lignes de fuite. Inutile de chercher à oublier le passé sucrier de la Martinique, mais pourquoi ne pas écrire les chapitres suivants sur de nouvelles fondations ?
Le couple Hayot réhabilite les lieux avec, au cœur de l’aventure, un projet culturel tout autant qu’économique : l’Habitation Saint-Étienne, entre-temps classée, ouvrira ses portes à l’art, à la musique. Et au rhum. Les expos et les concerts, gratuits, les vastes jardins exotiques, les chais à voûtes et l’antique distillerie attirent des dizaines de milliers de visiteurs à Gros-Morne, loin des plages, au centre de l’île.
C’est pourtant à la distillerie du Simon, la plus importante de Martinique, que coule le rhum, bien qu’une colonne en cuivre de HSE soit restée sur place, telle une vigie du passé. La grappe blanche est ensuite acheminée par tanks jusqu’aux chais de l’Habitation. Et là… rock’n’roll. Allez-y, je vous laisse choisir le morceau.
Au commencement des finishes
Très vite, HSE ne se contente pas de laisser le rhum roupiller en barriques. Et renverse la table en matière d’élevage.
«On a commencé sans le moindre stock, rappelle Cyrille Lawson, le directeur commercial, associé de près aux choix de production. Pour maximiser la variabilité, on a joué sur les fûts en multipliant les types de chêne, de contenu, de tailles, de chauffes… Ainsi que les finishes. En 1998, je déguste un whisky intéressant, affiné en fûts de xérès. Je propose à José de tenter la même chose avec nos rhums.» Banco. Banco, parce que quand un truc s’annonce compliqué il faut faire simple.
Avec Sébastien Dormoy, le directeur de production, Cyrille Lawson contacte des producteurs de vins, de spiritueux dont les produits leur correspondent. «C’est une vraie collaboration, avec une dimension humaine importante : ils savent ce qu’on recherche et sélectionnent des fûts qui nous conviennent parfaitement. »
D’ailleurs, leurs noms apparaissent souvent, mis en valeur sur l’étiquette : le whisky lorrain Rozelieures, le scotch tourbé (oui, tourbé) Kilchoman, le sauternes Château la Tour Blanche, le margaux Marquis de Terme…
Bien des spiritueux, à commencer par le whisky, abusent des finishes pour aromatiser des jus un peu plats, sucrer des rhums légers, ou encore anaboliser des gnôles trop jeunes. Mais HSE a poussé la technique à la hauteur d’un art. Dans les chais de Gros-Morne, ces maturations secondaires s’appliquent sur une base XO, qui a déjà connu le chêne américain pour se tapisser de notes séductrices de vanille, d’épices, de caramel boisé. Avant de passer sous chêne français qui tend l’aromatique comme une arbalète en l’enrichissant de moka, de cuir, de tabac blond. Franchement, qui aurait envie de masquer ce travail mené tout en finesse par un finish à la va-vite ?
«En Métropole, le succès a été immédiat, sourit Cyrille Lawson. Mais sur l’île, nos concurrents nous prenaient pour des fêlés !»
Heureux soient les fêlés car ils laissent passer la lumière, disait à peu près Audiard.
Dans la collection Expert Cask, le chêne du Limousin, le chêne des Vosges ou d’Ozark mûrit 36 à 48 mois (une hérésie financière !) s’invitent dans les chais, et on sent la volonté de remonter à la forêt. Au fond, il serait tentant de résumer HSE à sa maîtrise du bois et des maturations. Mais l’Habitation ne s’est certainement pas donné une deuxième vie pour se laisser ranger dans une case. Car HSE a également ramené le rhum blanc, voué au ti-punch ou au mojito, dans le champ de la dégustation en sortant dès l’an 2000 le premier blanc millésimé. Un jus reposé en cuve Inox pendant 2 à 4 ans (une hérésie financière, bis). Mais seules les récoltes exceptionnelles obtiennent l’adoubement du millésime, sinon quel intérêt ?
«L’histoire des rhums blancs est presque plus forte que celle des rhums vieux, souligne Cyrille Lawson. Quand on y réfléchit, il n’y a pas beaucoup d’alcools blancs aussi complexes.»
Ni aussi rock’n’roll.
Distributeur : Tricoche spirits
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