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Isle of Harris, une distillerie engagée au cœur des Hébrides écossaises

Si The Hearach, le single malt qu’on produit sur cette île du nord-ouest de l’Écosse, porte le nom de ses habitants, c’est parce qu’il s’est fixé une mission qui dépasse de loin la production de whisky : dans ce cadre de rêve, il veille à souder durablement toute une communauté.

On ne sent pas la morsure du vent, ni les frissons qui hérissent la peau dans l’air frisquet : sur les photos, Lewis and Harris a des airs de paradis dérivant sur l’océan Indien, avec ses collines plongeant dans les eaux claires, ses plages de sable blanc ondulant dans une échappée de ciel lumineux. On raconte d’ailleurs que jadis ou naguère l’office du tourisme de Thaïlande avait illustré par erreur l’une de ses campagnes publicitaires avec un cliché de cette île ancrée au nord-ouest de l’Écosse, la plus grande de l’archipel des Hébrides extérieures.

Dans les années 1960, Anderson Bakewell trouve les clefs de cet éden, en tombe fou amoureux, y passe toutes ses vacances. Et puis l’âge venu, l’excentrique Américain cherche un moyen de rendre à l’île et à sa communauté qui fond à vue d’œil un peu de ce qu’elles lui ont apporté. Comment ? En y construisant la première distillerie de whisky. Un moyen de fixer localement des emplois, doublé d’un engagement à très long terme, songe-t-il à raison.

LE CŒUR BATTANT DE HARRIS

Un peu de nuance géographique ? Allez. Sur cette île double, les populations de la partie nord, Isle of Lewis – la plus développée – et du tiers sud, Isle of Harris – le plus sauvage – entretiennent une picrocholine rivalité qui les autorise à bousculer l’ordre des deux noms accolés pour désigner leur terre : si vous vivez au nord, Lewis and Harris ; pour les habitants du sud, Harris and Lewis. En 2015, quand la distillerie ouvre ses portes, c’est bel et bien la première sur Isle of Harris – mais pas sur l’île, puisque la microdistillerie Abhainn Dearg produisait déjà depuis quelques années dans la partie Lewis.

Elle se dresse face à la ligne de ferry pour Skye, dans le village de Tarbert, à une heure et demie de route de la capitale. Et fait le pari de recruter sur l’île 10 personnes tout aussi dénuées d’expérience que son fondateur, mais qui sauront exprimer le cœur battant de Harris. L’enthousiasme palliant rarement l’inexpérience, trois pointures de l’industrie du scotch sont chargées de former l’équipe, parmi lesquelles Simon Erlanger (ex-Glenmorangie), devenu le directeur de la distillerie.

Enfermés dans l’ancien commissariat du bourg, les « Tarbert Ten » planchent sur le profil du futur whisky, les procédés de fabrication, l’équipement, l’accueil des visiteurs… Pendant ce temps, les murs se montent, la cuverie s’installe à l’étage, le mash tun à l’écart des huit fermenteurs en bois. Et près de l’entrée, une paire de petits alambics italiens rutilants.

Le consensus se crée autour d’un single malt au caractère légèrement fumé, fruité et floral, qui n’aura pas besoin de vieillir trop longtemps. Un whisky ressemblant à son île berceau, rappelant ses parfums de baies et de thym sauvage qu’on ramasse à la saison, ses tourbières, ses feux de cheminée. Il s’appellera The Hearach, le nom en gaélique des habitants de Harris.

ÉLOGE DE LA LENTEUR

Isle of Harris pratique deux fermentations : une longue d’environ 112 heures, qui donne un brassin aux notes de poire pochée ; et une courte de 67 heures, aux arômes plus exotiques. « Rien n’est accéléré ici, remarque Norman Mackay, le chef distillateur. Les fermentations sont lentes, les distillations sont lentes, la maturation est lente… »

Cet éloge de la lenteur ne contrevient en rien à une reconnaissance éclair. Car la distillerie Isle of Harris s’est très rapidement forgé un nom sur la scène internationale, grâce à… son gin. Un gin iodé, salin, marin, dont la bouteille dessinée par l’agence Stranger & Stranger fait sensation dès sa sortie en 2017. Mais c’est précisément ce succès inattendu qui a permis de prendre le temps nécessaire à l’aboutissement du whisky.

À l’automne 2023, The Hearach est enfin présenté aux amateurs, dans sa bouteille engravée d’un tramage de tweed – l’un des artisanats reconnus de l’île. Une superbe réussite ! Un an plus tard, un très joli 100 % Oloroso, mûri 6 à 7 ans en butts de xérès vient l’épauler. Et en ce printemps, la maître assembleuse Shona Macleod présente une nouvelle expression mûrie en fûts de sémillon Château Biac, aux notes délicatement tourbées fondues sur la réglisse et les poires cuites.

Alors que la conjoncture économique se tend, la courageuse petite distillerie se voit obligée de réduire la voilure, et de laisser partir quelques employés sur la cinquantaine qui, en dix ans, l’ont rejointe. Mais malgré les bosses sur la route, l’aventure continue. 

The Hearach of Château Biac (70 cl, 50 %). Prix : 129 €.
Distribution : La Maison du Whisky.

L’UNE DES DISTILLERIES LES PLUS COURUES D’ÉCOSSE

Avec très peu de moyens et quelques idées simples, Isle of Harris renouvelle l’expérience de visite d’une petite distillerie. Le tour démarre (au lieu de se terminer) par la dégustation, dans une salle lambrissée de douelles qui transporte le visiteur dans un fût. On déroule la pelote des arômes avant de remonter le chemin vers la genèse du whisky. La « salle des éléments » met à portée de doigts et de narines les grains d’orge, le malt, la tourbe, la levure, le gneiss, le cuivre, le chêne brûlé, les algues… Sous ce prisme sensoriel, la visite peut alors se poursuivre classiquement autour de la fabrication. Servie par un cadre de rêve, Isle of Harris s’est ainsi hissée sur le podium des distilleries les plus visitées d’Écosse.

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