Un petit vélo, un alambic en verre, un grand salon dans une vieille maison… Dans la poésie des odeurs de figuier (oui, en plein hiver!), ce séjour à Cognac révèle l’une des personnalités les plus attachantes des spiritueux en France : Miko Abouaf, fondateur de la distillerie Audemus Spirits et créateur du gin Pink Pepper. Et en filigrane, une question existentielle : partir, oui mais où ?
Un jour il a enfourché son petit vélo de postier et puis il a roulé, lancé sur les chemins de France, de distillerie en distillerie. Il se passionnait pour les plantes, avait construit un petit alambic dans son Australie natale, mitonnait ses liqueurs, et plus prosaïquement cherchait du boulot. C’était il y a dix ans tout juste, et son périple à deux roues le mena en Charente.
Deux années à faire ses classes chez un bouilleur de cognac, et puis…
«Non, vraiment, ce qui m’intéressait c’était les plantes, avoue dans un sourire Miko Abouaf. Je me suis lancé avec un petit rotovap, dans mon salon. Je ne comptais pas créer de marque, je pensais distiller pour d’autres. J’ai commencé à montrer ce que je pouvais faire avec un prototype, les gens ont aimé.»
Ce prototype, c’était Pink Pepper, l’un des premiers grands succès du gin artisanal français, lancé en 2013, bien avant le raz-de-marée. C’était écrit : la distillerie Audemus allait naître dans le salon d’une belle maison bourgeoise à la beauté fanée, en plein centre de Cognac.
Premiers jours de novembre, Ziggy la chatte replète glisse en trois coups de patte altiers jusqu’à son couffin posé sur la tommette près d’une cheminée où s’entassent bouteilles et fioles.
Face au matou, 2 alambics en verre de 30 l à la silhouette élancée ont relégué le rotovap sur le comptoir. Dans un gargouillis de bulles brunâtres, les baies de genièvre se dépouillent délicatement de leurs arômes.
«J’ai fait le choix de la distillation sous vide à basse température, car on n’a rien inventé de mieux pour extraire l’aromatique des plantes, s’anime Miko en diminuant la pression. Avec cette méthode, on ne cuit pas la matière première : on en exprime une facette en choisissant la température de chauffe. Par exemple, je distille les baies de genévrier à 50° pour en extraire des notes d’agrumes, mais si je montais à 70°, alors j’obtiendrais plutôt du boisé et un côté résineux. Pour le miel, je me cale à 65° afin de saisir les notes florales. Au-dessous, on capture des arômes beurrés et au-dessus, plutôt épicés.»
Chacun des 9 ingrédients de Pink Pepper est macéré puis distillé séparément.
«Je voulais créer un gin complexe, construit sur le poivre rose, reprend Miko. Avec des notes de tête, de cœur et de fond.»
La structure d’un parfum bien avant que cela ne devienne à la mode dans les spiritueux. Dans le cellier ouvert sur le jardin, les macérations et distillats reposent en cuves d’Inox. Ils seront ensuite assemblés et fondus à l’alcool, puis réduits. Chaque jour, les alambics crachent 40 à 50 l qui parfumeront 400 à 500 l de produit fini.
Le gin Pink Pepper reste le navire amiral de la maison, celui qui finance les explorations dont se nourrit Miko. On lui fera des infidélités pour goûter Umami, boisson spiritueuse devenue un gin en 2020 – « L’ajout de baies de genévrier l’a amélioré ! » –, dont les notes grasses et salines de saumure culbutent les Martini et caressent le plateau d’huîtres.
À moins de succomber au gin en édition limitée écrit en collaboration avec Anne-Sophie Pic, une symphonie poivrée, d’une fraîcheur inouïe. Pourquoi pas un bitters, Sepia ? Ou une liqueur de figuier, Covert, merveille d’intensité et de complexité ?
« Au début de l’été, quand la sève est bien montée, je pars remplir de feuilles une pleine housse de couette chez un producteur, se marre Miko. Puis je les fais sécher, je les crame dans un petit four avant macération. »
Assemblé à un distillat de miel, du sucre et du cognac : la recette du paradis perdu qui vous laisse dans un coin de la tête des parfums d’été.
« Tiens, goûte. La prochaine liqueur. » Au fond du chai, le petit robinet siphonne quelques centilitres d’une cuve Inox estampillée BGL (Bergamot Gin Liqueur).
Imaginer, créer, tenter. Miko revendique une approche des spiritueux « naïve » :
« Certains ont besoin de comprendre toute la chimie moléculaire de la distillation. Moi j’ai besoin d’essayer, de sentir, de ressentir. Pour un seul et même ingrédient, je peux faire 20, 25 essais sur le rotovap de mes débuts afin de trouver la meilleure température d’extraction. »
Pendant les confinements, au lieu de prendre un repos mérité, le Franco-Australien a initié une collection, Fractal, des poèmes alcoolisés qui se déclinent déjà en 3 volumes, sources de pur plaisir pour leur créateur.
« La raison d’être d’Audemus, c’est l’expérimentation, insiste Ian Spink, Britannique réfugié en Charente qui a rejoint l’aventure en 2014. On n’est pas là pour faire sans cesse la même chose, encore et encore. »
Pour écrire la suite, Miko a dessiné et fait fabriquer un nouvel alambic, de 500 l cette fois, en Inox, verre et cuivre, capable de distiller sous vide, à vapeur ou au bain-marie. 2 ans que cette beauté attend dans les entrepôts du chaudronnier Chalvignac ! Car pour l’installer, Audemus doit grandir, partir, s’envoler du cocon, quitter le salon. Jusqu’à 50 l, un appareil à distiller en verre n’est pas considéré comme un alambic aux yeux des Douanes, ce qui autorise sa présence dans une maison en ville.
Héberger le nouvel alambic dans une distillerie amie ? Lui en construire une ?
Miko le sait bien : le voilà à la croisée des chemins. Dans les frimas de l’automne, le vélo de facteur s’appuie contre le mur, garé dans le jardin comme pour rappeler qu’un jour, bientôt, il faudra prendre le vent pour d’autres horizons. Oui, mais où ?
Audemus Pink Pepper (gin, 70 cl, 44%). Prix : 54 €. Tessendier Distribution.
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