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Amrut : un whisky indien dans la ville

Bangalore, capitale du Karnataka, abrite l’une des distilleries les plus atypiques de la planète. C’est la pionnière du single malt indien. Elle ne se visite pas, malheureusement, mais Caveman vous en dévoile les dédales et l’histoire – sans tamponner vos passeports.

La jungle de béton a étendu ses tentacules, repoussant la forêt au-delà d’horizons plus désormais invisibles dans la poix de pollution, déroulant les rubans d’autoroute devant le portail au pied de la distillerie. Qu’il est loin le temps où la nature servait encore d’écrin à Amrut, à une tranquille distance de Bangalore, au sud-est de l’Inde ! Dans son frénétique développement, la mégalopole du Karnataka a happé les campagnes alentour. Et Rakshit Jagdale, 3e génération aux commandes de la compagnie familiale, cherche maintenant à déplacer sa distillerie vers le calme de Mysore, l’ancienne capitale, sublime cité culturelle riche en palais et monuments.

Quand Amrut est créé en 1948, dans l’ivresse de l’indépendance, c’est un groupe pharmaceutique dont le nom, en sanskrit, signifie « élixir d’immortalité ». Il se double d’une activité de liquoriste fondée sur la production d’IMFL, les « Indian Made Foreign Liquors » : tambouillés sur une même base d’alcool de mélasse, ces spiritueux indiens copient les eaux-de-vie étrangères (whisky, rhum, brandy…) dont ils prennent l’apparence à défaut du goût au gré des additifs entrant dans la mixture. Jusqu’à la Révolution du Grain enclenchée au milieu des années 1960 pour éradiquer les famines qui frappaient le sous-continent, il était en effet inconcevable de distiller un bien aussi précieux que les céréales. En revanche, la canne à sucre poussait en abondance dans les États du sud – c’est toujours la principale culture du Karnataka. Sur les 140 km entre Bangalore et Mysore, le moindre village compte plusieurs fermes-sucrotes familiales où l’on fabrique le jaggery (un sucre issu du jus cuit non raffiné) avec un équipement rudimentaire et des gestes qui n’ont guère changé depuis l’aube des temps. Cette matière première divine, Amrut l’utilise pour élaborer des rhums distillés en alambics pot still après des fermentations longues.

À L’HEURE DES SINGES

Mais sous nos latitudes, ce sont bien sûr les singles malts qui ont taillé la fière réputation d’Amrut. Chez les Jagdale, la distillation à proprement parler commence dans les années 1950. D’abord pour rectifier l’alcool de base des IMFL, puis pour couler du rhum. Quand 3 décennies plus tard le single malt sort – enfin – des alambics pot still, il sert d’abord à améliorer les pseudo-whiskies IMFL. Mais à l’orée du XXIe siècle, au moment de rejoindre l’entreprise familiale après ses études en Angleterre, Rakshit Jagdale propose de créer « un single malt indien pour l’export ». Amrut Classic est officiellement lancé à Glasgow en 2004, et à Paris dans la foulée. Avec ses notes de caramel mou, de chocolat à la noix de coco, de chêne toasté, c’est toujours le whisky indien le plus vendu en France. Car 20 ans plus tard, le pari a réussi au-delà des rêves les plus fous.

Et pour satisfaire la demande enthousiaste, la distillerie a dû se dédoubler. La ville a beau avoir avalé la campagne, en soirée il n’est pas rare que les singes dévalent en bandes, venus d’on ne sait où, des forêts repoussées par la mégalopole. Ils prennent leurs aises auprès des alambics et sur les escaliers de métal tiède. Autour, le phénoménal fatras de crépi ocre et sienne, de taule et de cuivre, de cuves, d’alambics et de colonnes de distillation, de pipelines qui cavalent d’un bâtiment à l’autre font d’Amrut l’une des distilleries les plus fascinantes à visiter. Une distillerie cubiste, de bric et de broc, au charme renversant, à la beauté inhabituelle.

QUAND LES ANGES SE GOINFRENT

Saisissant contraste : juste en face, Plant 2 (« usine n°2 », la nouvelle distillerie conçue pour tripler la production) est équipée dernier cri. Et tourne déjà à pleine capacité. Au total, les alambics crachent à l’année 1 million de litres d’alcool pur de malt. Mais au bout de seulement 5 ans, les fûts ont perdu la moitié de leur liquide en raison du taux d’évaporation élevé : quand le cagnard cogne les toits par 45 degrés l’été, les anges en profitent pour se goinfrer. À tel point que la plus précieuse cuvée d’Amrut s’est vue baptisée Greedy Angels (« les anges voraces »).

Impossible pour autant de déplacer les chais sous des latitudes plus clémentes : l’Inde se divise en 28 États et 7 territoires administratifs, soit autant de lois relatives à la fabrication, la distribution et la commercialisation de l’alcool ! Et puis au fond peu importe ce qu’on perd si ce qui reste vous émeut ! Se jouant des contraintes climatiques, Amrut déploie une créativité débridée : l’expression Naarangi a ainsi passé ses 3 dernières années de maturation en fûts de xérès oloroso infusé de zestes d’oranges. Le Fusion, dont une dégustation à l’aveugle avait jadis confondu tous les experts écossais, marie à 80% le single malt d’Amrut non tourbé issu d’une orge rustique à 6 rangs à 20% de scotch tourbé. L’Intermediate Sherry est un must absolu. Et depuis l’automne, la collection Master Distiller’s Reserve décline un finish en fûts de stout – bière brune brassée à Bangalore. Une première, encore.

Amrut Master Distiller’s Reserve Stout Cask Finish (70 cl, 50%).
Prix : environ 138 €. Distribution : la Maison du whisky.

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