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À Warenghem, là où est né le whisky français

La distillerie bretonne, berceau du single malt Armorik, célèbre cette année le 40e anniversaire d’une diversification très réussie dans le malt. Avec des projets plein les tiroirs.

Le miracle aurait-il pu se produire ailleurs qu’en terres celtes, ailleurs qu’au cœur de cette Bretagne cousine de l’Irlande et de l’Écosse ? Depuis sa fondation en 1900, Warenghem produit des liqueurs dont les meilleures tables se régalent. Mais à l’aube des années 1980, les Français goûtent moins ces produits régionaux : la globalisation a allongé la foulée en remorquant son cortège de grandes marques de spiritueux. Et la petite distillerie de Lannion périclite.

Jusqu’à ce qu’en plein été 1983 Gilles Leizour, le patron des lieux, vive un moment eurêka en lisant la presse : tiens donc, un whisky français étiqueté Le Biniou a été servi à la garden-party de l’Élysée le 14 juillet ! Et si… et si l’on faisait du whisky ? Allez !

Théoriquement, la transition est simple. Dans la vraie vie, c’est un saut à l’élastique comme vous n’en avez pas idée.

« À l’époque il n’y a pas d’information disponible, pas d’internet, pas de formation, pas même de définition légale du whisky », rappelle David Roussier, qui a repris les rênes de la distillerie à la suite de son beau-père. Impossible de googler « Comment faire du whisky » quand on n’en a pas l’ombre d’une idée. D’ailleurs, les créateurs du Biniou ne s’étaient pas poché la rate au court-bouillon pour tambouiller leur whisky… puisqu’il s’agissait de scotch naturalisé sous pseudo bretonnisant ! Bref, « on n’imagine pas la prise de risque énorme, reprend le DG de Warenghem. D’autant que Gilles vient de reprendre la direction de l’entreprise en 1981 derrière son père Yves, qui était farouchement opposé au whisky : il pensait que ça allait couler la boutique ! »

Pause. Levons nos verres en l’honneur de Gilles Leizour, visionnaire père fondateur du whisky français, qui n’imagina sans doute pas à quel point le mouvement de civilisation ainsi initié allait prospérer.

Armorik, le premier single malt français

Après 3 ans de repérages, d’allers-retours en Écosse, de bidouillages et de tests dans les alambics à liqueurs, le blend WB (pour « Whisky breton ») sort en 1987. Gilles Leizour se pique au jeu et décide de passer aux choses sérieuses : en 1993, il fait construire un bâtiment dédié à la production de single malt et équipe sa distillerie d’une paire de pot stills écossais fabriqués en Charente. 5 ans plus tard, Armorik arrive sur le marché. Le premier single malt made in chez nous. La véritable naissance du whisky français.

Aujourd’hui, alors qu’une bonne centaine de distilleries de l’Hexagone ont pris le virage du whisky, il est facile d’oublier à quel point les pionniers ont essuyé les plâtres et ouvert la voie à la machette dans les champs d’orge. En 2000, 7 distilleries produisent la reine des eaux-de-vie dont Écossais et Irlandais se disputent la paternité depuis des siècles : Warenghem, les Menhirs, Glann Ar Mor, Mavela, Wambrechies, Lehmann et Holl. Et seule la première a déjà commercialisé son jus – Eddu, le whisky de blé noir, viendra sucer la roue d’Armorik dès 2002, entretenant une rivalité bretonne qui nourrit la légende.

La dernière tonnellerie bretonne

Mais être le pionnier, David Roussier ne peut s’en satisfaire : « Il faut qu’on le reste partout où ce sera possible. » Alors Warenghem sera la première distillerie de whisky français à batailler pour la création d’une Indication géographique Bretagne. La première à intégrer dans sa gamme permanente un single malt de 10 ans, puis de 15 ans. La première à lier une tonnellerie à son destin, au printemps 2023.

Une tonnellerie ? « Le dernier tonnelier de Bretagne, Jean-Yves Le Floch, prenait sa retraite. Et avec lui allait disparaître toute une tradition, des outils, des savoir-faire… Poursuivre son activité, c’était donner à cette histoire une chance de perdurer. Au même moment, les anciens Abattoirs du Trégor, dans le centre de Lannion, déménageaient en laissant des bâtiments magnifiques qui cherchaient repreneur. Et finalement le fils de Jean-Yves, Benjamin, formé par son père, a été partant pour remonter avec nous la tonnellerie.
Tout s’est bien goupillé : nous avons à présent un superbe outil pour explorer les essences de bois comme l’acacia ou le châtaignier, pour jouer avec les chauffes ou les grains du chêne avec une souplesse inouïe. »

Pour l’heure, le patron de Warenghem concentre ses efforts sur les moyens de rationaliser drastiquement l’usage de l’eau et de l’énergie : « C’est le chantier prioritaire pour ancrer la distillerie dans son environnement. » Mais la réhabilitation des anciens abattoirs laisse une surface à aménager qu’il entend bien transformer en terrain de jeu hors norme, en y logeant à terme une microdistillerie où chacun pourra élaborer ou faire fabriquer ses eaux-de-vie sur mesure, reprenant une tradition de bouilleur bien établie en Bretagne. Enfin, un pub doté d’une belle carte de single malts viendra ultérieurement compléter les lieux. Parce que le whisky, les spiritueux, ce sont avant tout des produits de convivialité, des moments qui se partagent.

Armorik 10 ans batch 2023 (70 cl, 46%).
Prix : environ 70 €. Distribution : la Maison du whisky

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