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Manguin, le festival secret d’Avignon

par Christine Lambert 25 juillet 2023, 9h30 1.9k Views

Sur l’île de la Barthelasse, au cœur de la cité des Papes, Béatrice et Emmanuel Hanquiez ont réveillé une distillerie unique, ouverte sur la nature, dont les eaux-de-vie d’exception déclament une ode à la Provence. On visite ?

Pendant quelques jours, l’incendie dévore la forêt en se rapprochant des portes d’Avignon. Le massif de la Montagnette étouffe sous un panache de fumée dont la traîne a déposé une pellicule de cendre grise sur la distillerie.

Mi-juillet 2022, été de feu. L’île de la Barthelasse, la plus grande île fluviale d’Europe, enchâssée sur le Rhône dans la cité des Papes, suffoque. Mais il en faut semble-t-il davantage pour dissuader Béatrice Hanquiez de s’approcher de ses alambics : il y a là Marius, le beau gosse réservé à la fabrication du gin, cuve Inox et chapiteau de cuivre ; Olive, bas du cul 100% Inox, qu’on n’utilise plus guère ; et le gros César, 1 300 litres tout en cuivre.

La triplette provençale – mais d’inspiration charentaise – s’aligne auprès de Mireille, la chaudière, dans une distribution que Pagnol n’aurait pas reniée.

Alors oui, les bécanes portent des prénoms. Et quand on y songe, quoi de plus normal puisqu’il se mitonne ici les fines gnôles les plus vivantes, les plus humaines qui soient.
En plein Festival, les amateurs de théâtre ont pris Avignon d’assaut mais la Barthelasse se préserve de l’agitation, on ne sait trop par quel miracle. Les terres inondables à la merci des crues colériques du Rhône ont limité l’expansion immobilière et dessiné un éden agricole où les terres alluviales sableuses et limoneuses encouragent l’éclosion des vergers baignés de soleil.

Pommes, poires, abricots, cerises, pêches… le paradis des fruits défendus, et Claude Manguin ne résista pas à la tentation : dès les années 1940, cet ingénieur agronome, fils du peintre Henri Manguin (un fauviste de la première heure), planta des dizaines d’hectares de poiriers et de pêchers dont les récoltes approvisionnaient les épiceries fines les plus sélectes. Un peu moins de vingt ans plus tard, il commence à se faire un nom dans la distillation en élaborant de belles eaux-de-vie de fruits que les tables réputées ne tardent pas à se disputer.

Droit sur le fruit !

Avance rapide jusqu’au début des années 2010. Taraudés par l’envie de bousculer le cours confortable de leur vie champenoise, Béatrice et Emmanuel Hanquiez cherchent « une petite entreprise traditionnelle qui ait du sens, une belle image, dans l’univers du goût ». Manguin coche toutes les cases des affinités durables qui promettent un long bout de chemin ensemble, et bien plus encore : le couple tombe amoureux de la distillerie endormie au soleil, entre les moustiques et les cigales. Ils rénovent l’outil de production, ouvrent la distillerie aux visiteurs, installent un bar et une boutique dans la bastide.

Mais surtout ne rien brusquer. Rester à l’écoute de la nature, de la matière, du fruit. En prenant tout leur temps, les Hanquiez renouvellent la gamme d’eaux-de-vie, liqueurs et pastis entourant l’emblématique poire Williams de Manguin. Vieille Prune, Abricot du Ventoux, Mirabelle, Cerise, Clémentine corse, Mandarine, Citron bergamote (divine !), Lavande, Poire dans tous ses états (brute de fût, prisonnière, affinée en fûts de bourbon ou de sauternes)…

« Droit sur le fruit ! s’exclame Béatrice dans un grand sourire en soulevant les couvercles qui coiffent les cuves. À la manière des fauvistes, qui juxtaposaient les couleurs primaires pour que l’œil les mêle, je veux retrouver dans mes eaux-de-vie le fruit dans lequel je croque. »

Prenez la poire. La williams rouge, la plus éloquente, compose exclusivement l’expression Cœur de chauffe, mais s’acoquine avec sa sœur jaune pour la référence embouteillée à 45%. Fermentation spontanée, mise en chauffe progressive de l’alambic, température de coulage constante, élevage en cuve Inox – puis en dame-jeanne bouchée de coton et de lin pour le Cœur de chauffe : le temps et la patience forment les ingrédients indispensables des produits Manguin. Oh, bien sûr, tout devient plus compliqué en été, avec ou sans feu de forêt, car l’eau de refroidissement des condenseurs refuse de se mettre au frais mais au fil des saisons, de l’hiver à la canicule, la cuverie conductrice transmet au liquide les amplitudes thermiques qui affinent l’alcool.

Le gin olive qui a conquis le monde du bar

Et puis il y a l’olive. L’âme provençale incarnée autour d’un noyau, que Béatrice a capturée pour mieux la restituer dans un gin unique au monde, Oli’Gin, avant de le décliner en eaux-de-vie sublimes ou en vodka. On s’aventure là en territoire secret, depuis la sélection des 3 variétés d’olives jusqu’aux temps de macération, à côté d’autres botaniques, avant que Marius l’alambic ne quintessentialise l’histoire en sifflant. Viennent ensuite la réduction, lente, progressive, en douceur, selon la touche Manguin, et les longs mois de maturation. Et puis un jour, ce miracle arrive dans votre verre : la petite drupe noire explose au nez sous le genièvre. Elle irradie en bouche, portée par des notes salines et de truffe, vibrante, parfumée. Une pensée vous traverse alors l’esprit : plus jamais il ne vous viendra à l’idée de préparer un Martini sans cette bouteille sombre aux courbes sensuelles qui a conquis les bartenders du monde entier.

La réponse enthousiaste des mixologues, inspirés par des produits de haute qualité qui exaltent le terroir méditerranéen, a poussé Emmanuel Hanquiez à créer en 2019 le Mediterranean Challenge, compétition de haute volée ouverte aux as du bar. Une année sur deux, trois jours durant, les rires et le bruit des glaçons secoués dans les shakers se joignent en chœur au concert des cigales et au ronflement des alambics sur la Barthelasse. Ce Festival-là, il est off de chez off.